INSTITUT DE FRANCE

 

Fondation ASTOR 1929

 

CHATEAU DE KERAZAN

en LOCTUDY (Finistère)

et son Musée

 

Ӝ

 

J.E. BULLOZ

Paris, 21 rue Bonaparte

 

 

En sortant de Pont-l'Abbé par la route qui conduit à Loctudy, on aperçoit bientôt à l'horizon de longues lignes de verdure encadrant de hautes futaies, puis des avenues se précisent les contour d'un parc se dessinent, et de hauts toits, des flèches dominant de vieux murs de granit indiquent une grande demeure. C'est Kérazan, ancien domaine noble, que le dernier possesseur, M. Joseph Astor, a légué à l'Institut de France (déc. 1929).

Les anciens seigneurs de Kérazan tenaient leurs terres en arrière-fief des puissants barons de Pont-l'Abbé dont ils étaient, en Loctudy, les sergents inféodés héréditaires.On peut voir dans l'église de Loctudy, charmant édifice du XIIe,reléguée dans le collatéral nord, une table tout historiée d'armoiries, qui recouvrait leur tombe placée dans le chœur, Les noms des Kerfloux , des Kerlaezec, des Riou de Kernuz s'y distinguent encore.Il y eut parmi eux d'hardis marins; un Drouallen, seigneur de Kérazan, servit brillamment sous Duguay-Trouin. La soeur de ce Drouallen fit passer le domaine de Kérazanaux Le Gentil de Rosmordruc dont la famille est encore noblement représentée en Bretagne.

A la Révolution, le comte Louis-Ange-Aimé Le Gentil de Rosmordruc, ancien officier et chevalier de Saint-Louis, émigra en Angleterre, et ne revint que pour jouer un rôle dans la Chouannerie en qualité de chef de division des Armées royales et catholiques. En 1793, un arrêté du tribunal révolutionnaire de Quimper l'avait dépossédé de ses domaines saisis et vendus au profil de la Nation (Le procès-verbal de criée et de vente es tdu 1er Thermidor an II). Le château et ses dépendances avaient été adjugés, ( au Cinquième feu » , à M. Louis Derrien, pour la somme de 46.000 livres. La fille de ce dernier, Mme veuve Lenormand, les revendit en 1847 à M. Arnoult, notaire à Pont-L'abbé. C'est par le mariage de Mlle Arnoult que Kérazan entra dans la famille Astor.

Les Astor étaient originaires du Languedoc. Un dessin, au crayon noir, représente le colonel Astor, né à Figeac en 1772. Après avoir fait les guerres de la Révolution et de l'Empire, et continué à servir sous la Restauration , il avait pris sa retraite à Quimper dont il était le maire en 1837. Son fils, officier d'infanterie légère, fit la campagne de Crimée comme capitaine et revint décoré de la Légion d'honneur et de la Victoria Cross. Ayant démissionné il épousa Mlle Arnoult et après la chute de l'Empire se lança dans la politique républicaine libérale. Maire de Quimper et sénateur du Finistère, il contribua très activement à leur prospérité croissante et mourut en 1901, estimé et et honoré par tous ses concitoyens.

Son fils, Joseph Astor, le donateur de l'Institut, eut une destinée plus effacée. Une surdité qui commença dès l'âge des études lui fut un obstacle à tout carrière. Docteur en droit, l'esprit cultivé, et ayant des goûts artistiques, préférant la solitude au monde dont son infirmité le séparait, il passa la plus grande partie de sa vie dans son domaine, épris de ses arbres et des œuvres d'art qui lui venaient de sa famille. Il s'appliqua même à les enrichir et il eut au début des inspirations heureuses.

C'est ainsi qu'il acquit les très beaux Cottet qu'on peut admirer dans le musée, des Maurice Denis, des Simon, Desvallières, Steinlen, Désiré Lucas, etc. Il aimait l'école moderne dans ce qu'elle apportait de neuf et de hardi et si, à la fin de sa vie, ses choix furent plus discutables, il faut l'imputer à la baisse de sa vue, et aussi, disons le, aux influences pernicieuses qui guettent l'amateur fatigué et désorienté.

Telle qu'elle est, la collection Astor méritait d'être classée et exposée aux yeux du public. Elle aura encore pour lui le charme d'une surprise : c'est la révélation d'un peintre connu seulement de quelques vieux Quimpérois, Auguste-Denis Goy (1812-1875) qui, jeté en Bretagne par les hasards de la vie, en devint un de peintres les plus émus et les plus sincères. Il sortait de l'atelier d'Ingres - une de ses toiles, étude de vieux Breton le prouve suffisamment- mais vivant dans la nature, au milieu des mœurs et des aspects si pittoresques de la Bretagne d'autrefois, il s'était affranchi des conventions d'École pour ne traduire que ce qu'il voyait, que ce qu'il sentait. Le tableau désigné sous le titre « Intérieur breton »,et reproduit dans ce catalogue, exprime bien l'essence de ce talent vigoureux et délicat.

Le château de Kérazan, bâti au XVIe siècle, a tout le caractère des manoirs bretons de cette époque : haut toit écrasant les murailles, pesantes lucarnes aux fleurons massifs, lourd appareil de pierre; l'ensemble est cependant original et plaisant. Le plan primitif n'a pas dû changer beaucoup; la façade, hélas! a subi des modifications malheureuses, Les Rosmordruc, au XVIII siècle, les avaient entreprises pour le bâtiment principal qui fut relevé franchement plus haut que la partie en équerre, laquelle resta « le vieux château ». Sous le second Empire, « les embellissements » s'aggravèrent et mieux vaut n'en pas parler. Que d'édifices charmant et savoureux ont été ainsi gâtés pour obéir au goût du jour! Mais « le vieux château », avec ses lucarnes, sa curieuse petite tour carrée dont l'un des pans s'arrondit et se coiffe si drôlement d'une poivrière, reste heureusement pour nous aider a reconstituer la demeure des anciens seigneurs de Kérazan.

Si l'architecture eut à pâtir de ces changements, les alentours par contre y gagnèrent. Les jardins, le parc les larges avenues sont de cette époque, Une douve remplie par l'eau d'une source proche en entoure une partie, et sa courbe bordée de grands mimosas, de rhododendrons gigantesques, de palmiers incroyables sous le ciel brumeux de l'Armor offre des aspects séduisants. Au printemps, c'est une féerie de couleurs.

En léguant son château et tous ses biens à l'Institut de France M. Astor n'a pas voulu seulement conserver l'intégrité de son domaine. Une idée plus généreuse, plus humaine, le hantait dans ses dernières années : n'ayant plus de famille, privé du commerce du monde, solitaire et replié, cet homme qui cachait son cœur, savait combien la vie est dure aux gens qui l'entouraient, marins, pêcheurs, gens de la terre, tous chargés de nombreux enfants; remué aussi sans doute par un besoin de tendresse qu'il n'avait pas satisfait, il pensa à améliorer le sort des jeunes filles de son pays et aussi à relever le niveau de l'art pratiqué dans toute cette région bretonne, où de mère en fille la broderie et la dentelle se pratiquent pour ainsi dire de naissance.

Rien ne pourrait mieux exprimer les sentiments du donateur que ces lignes du testament où il manifeste ses dernières volontés.

« Empêché par une infirmité cruelle de servir mes concitoyens, je veux du moins, par l'emploi de ma fortune et par une institution utile rappeler le souvenir des miens dans le pays, au bien-être et à la prospérité duquel ils ont consacré une grande partie de leur vie, et le meilleur de leurs efforts; et en l'état de notre législation fiscale et de nos mœurs publiques, un grand corps universellement respecté me paraît particulièrement qualifié pour assurer de façon conforme à l'intérêt public la réalisation de mes intentions.

Dans cette pensée, j'institue l'Institut de France légataire universel de tous les biens, meubles et immeubles, que je laisserai à mon décès, sous réserve des conditions qui vont suivre ... »

Suivent les prescriptions pour la création d'un musée rassemblant les œuvres d'art dans les salons aménagés à cette fin, et « sous la forme qui lui paraîtra la meilleure et la plus judicieuse, sous la forme de cours ou sous toute autre, l'Institut créera à Kérazan pour des jeunes filles un enseignement d'art appliqué et industriel ».

C'est la tâche que l'Institut de France, reconnaissant du legs généreux laissé par M. Joseph Astor, s'efforcera de réaliser au mieux de sa mémoire et de ses intentions.

 

Georges SOUILLET Directeur-Conservateur de la Fondation Astor.

 

 

MACON, PROTAT FRERES, IMPRIMEURS - MCMXXXII

 

Georges Souillet 1861-1947, peintre, étudie aux Beaux-Arts de Tours, sa ville natale, avec Félix Laurent, puis à ceux de Paris avec Alexandre Cabanel. Il participe au Salon à partir de 1899, avec des paysages du Finistère et des sujets orientalistes, inspirés de son voyage en Afrique du Nord.

 

 

Huile sur toile, signée en bas à gauche; format 60 x 73 (circa 1936) Détente dans la pinède – Vieux port de Loctudy, vue de Kerazan.

 

 


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INSTITUT DE FRANCE ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS BULLETIN N° 13 JANVIER-JUIN 1931
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