Corentin Monfort [1853 à 1861] (5/02/1810 – 14/05/1889)


A différents titres, le parcours effectué au siècle dernier, en tant qu’élu municipal par Corentin Monfort de 1843 à 1861 mérite d’être connu. Né sous le premier empire le 5 février 1810, il décède à Brest le 14 mai 1889 au début de la IIIème République après avoir traversé plusieurs régimes.


Son décès dans cette ville résulte vraisemblablement du fait que son fils Pierre-Marie, prêtre, y résidait. En effet aucun de ses cinq enfants n’est resté à Loctudy : ses deux filles ont épousé des commerçants de Pont l’Abbé d’origine auvergnate (Duhamel et Lacarrière).


L’élu dans son époque  :

A la différence de son prédécesseur, Alphonse de Penfentenyo (1843-1852) et de son successeur Aimé de Laubrière (1861-1869), il n’est pas noble. Il n’est pas, non plus cultivateur, comme d’autres maires de l’époque : Pierre-Jean et Guillaume Le Cléac’h (1823-1843) ou Louis Toulemont (1863-1911). Il est « marchand » alors que dans les statistiques professionnelles de 1836, on ne relève qu’un seul commerçant. Il exploite une boutique comportant une mercerie, qui jouxte la mairie – école au Bourg, place de l’Église. En 1881 il vend sa propriété à Yves Boënnec également acquéreur de la mairie et créateur d’un magasin d’alimentation générale qui durera jusqu’en 1970 (CODEC).


C’est un conservateur, homme d’ordre haïssant l’anarchie et fervent défenseur de l’Empire. En 1851 il ne s’associe pas à la protestation, votée par le conseil municipal, qui s’élève contre le coup d’État du 2 décembre perpétré par Louis-Napoléon.


Lors de son intronisation comme maire le 1er janvier 1853, il jure fidélité à l’Empereur. Il ne partage pas plus les convictions légitimistes d’Alphonse de Penfentenyo que les idées républicaines prônées par Roland le Bail, maire de Plozevet. Cela n’empêche pas le conseil municipal de lui rendre hommage en 1850 quand il démissionne de son poste d’adjoint, « il a rendu de grands services en tant qu’homme de zèle et capacité ». De même en 1852, Alphonse de Penfentenyo qui appuie sa candidature à son remplacement au poste de maire, le qualifie de « digne de confiance, homme rangé probe et religieux ».


Sa signature est ferme et assurée. A la différence de plusieurs conseillers municipaux qui ne savent pas signer, il possède une certaine instruction. Où l’a-t-il reçue ? Vraisemblablement à l’école du prêtre qui fonctionnait dans les paroisses avant la création des écoles primaires décidée par la loi Guizot de 1833 (celle de Loctudy ne sera ouverte qu’en 1837). Dans ces institutions le recteur prodiguait un enseignement rudimentaire axé sur le latin et le breton, aux enfants des familles aisées et à ceux qui ayant certaines capacités intellectuelles étaient susceptibles d’entrer dans les ordres. Ce devait être le cas de Corentin Monfort car son père était simple journalier.


Avait-il tiré un « mauvais numéro » et effectué son service ? Avait-il pris un engagement et acquis dans l’armée comme Jean Marie Deguignet (cf les mémoires d’un paysan Bas-Breton) une bonne connaissance du Français ?


Durant sa carrière municipale, il a accompagné Loctudy dans sa première grande mutation. C’est l’époque des grands défrichements, du développement de la culture de la pomme de terre, de l’utilisation intensive des fertilisants naturels (goémon), de l’introduction de la charme Dombasle et des premiers comices agricoles initiés par l’Association régionaliste bretonne. C’est durant cette période que, à l’initiative de Édouard le Normant des Varannes et de Hyacinthe le Bleis, s’effectue la poldérisation des marais de Loc’h Sall et de Brémoguer. C’est surtout le lancement du port de Poulavillec et le développement des exportations de pommes de terre et de poteaux de mine vers le Pays de Galles. C’est également le début de la vague des bains de mer, qui sont à l’origine de la vocation touristique de la commune.


Ses réalisations : d’une manière générale, il a appliqué les mêmes principes de gestion que son prédécesseur. Son action a porté principalement sur :


1) - La réglementation de la collecte du goémon. Dans son arrêté du 9 janvier 1853, il interdit le sauvetage du goémon la nuit, les dimanches et jours fériés (« spécialement consacrés au culte divin »). Il s’élève contre « l’usage appelé «Babata» qui occasionne des disputes rixes et batailles ». Dans un additif à cet arrêté il nomme des conseillers municipaux commissaires du littoral : ainsi monsieur Péron Pierre Guillaume de la ferme de Langoz et adjoint au maire surveille le secteur allant de « Beg an Ti guard » à la côte du Coadigou. Pas plus que son prédécesseur il n’accorde le droit à monsieur le Bleis d’incinérer le varech pour en faire de la soude. « Le goémon est nécessaire à l’amendement des terres de la commune ».


2) - Les problèmes de l’instruction primaire : vote du budget annuel mais aussi agrandissement de l’école « insuffisante et insalubre », projet d’école des filles tenue par des religieuses, projet de construction d’une nouvelle mairie école. Ces initiatives ne verront le jour qu’en 1869 pour l’école du Bon Ange et en 1880 pour le second. M. Galez malade reçoit une indemnisation en raison de ses bons services comme instituteur et maître d’école. A son décès en 1858 il est remplacé par monsieur Gourlaouen qui restera en fonction jusqu’en 1865.


3) - L’assiette et l’entretien des chemins ruraux et vicinaux qui constituent un grand sujet de préoccupation. Une loi de 1836 avait chargé les municipalités de relier chaque village à la circulation générale par un chemin vicinal. Mais il faudra attendre 1855 pour que, après plusieurs refus, la municipalité n’accepte de participer au financement de la route dite de Plonivel. Jusqu’alors, le conseil municipal considérait que cette route ne présentait aucune utilité pour Loctudy mais avantageait Pont l’Abbé et Plobannalec.


4) - L’équilibre du budget qui est difficile à assurer du fait de la suppression de la surtaxe d’octroi. La faiblesse des ressources amène à renoncer à certaines dépenses (service de médecine gratuite, aide plus grande aux indigents). Les propriétaires qui doivent une aide en nature (devez-braz) pour l’entretien des chemins vicinaux sont invités à choisir à la place de cette obligation, une contribution financière.


5) - L’aménagement du cimetière entourant l’église. Un arrêté du 28 novembre 1858 crée des concessions perpétuelles et temporaires et définit un règlement d’occupation.


6) - L’urbanisme. Dans le but de lutter contre les risques d’incendie et de conforter la sécurité publique, un arrêté du 20 juin 1861 interdit de construire, dans un rayon de 150 mètre autour de l’église, des maisons couvertes de toits de chaume et de danser sur la place du bourg (al leur veur) « attendu qu’elle est petite et traversée par trois chemins vicinaux ».


7) - La police des auberges. Elle doivent être fermées à 20 heures et les jours de pardon. Le but est de lutter contre l’alcoolisme qui sévit dans notre région à cette époque et qui est combattue par les pasteurs Gallois.


8) - L’extinction de la mendicité (arrêté du 29 janvier 1858). Il s’agit d’obliger les mendiants à résider dans leur commune d’origine, où les « vrais » sont aidés par des personnes charitables parce que connus (Il devait donc y avoir de « faux » mendiants !).


Ses préoccupations  :

Par ailleurs, il a réitéré la demande de la concession de la partie sud de l’anse de Porz-Bihan, « véritable cloaque » depuis la construction de la chaussée menant du Bourg à Poulavillec.

Il a demandé la création d’un service postal journalier en raison :

- de la construction de la cale de Poulavillec.

- de l’établissement d’une brigade des douanes au bourg.

- de la «correspondance très suivie» rédigée par les propriétaires de manoirs et des étrangers des villes «attirés par les bains de mer».


Par contre, la suggestion du préfet de créer une société de secours mutuel n’est pas retenue parce que, à part une douzaine de membres honoraires, les membres titulaires (simples journaliers) ne seraient pas en mesure d’y cotiser par insuffisance de ressources.


Au plan politique, on relève plusieurs délibérations qui constituent des messages de soutien à l’Empereur (à l’occasion de son mariage, de la naissance de son fils). En 1858 un crédit de 18 francs est voté pour acheter un drapeau, l’ancien n’étant pas convenable pour la réception des majestés impériales à Quimper où elles furent chaleureusement accueillis. Une souscription est lancée en 1859 pour aider les familles de tués et blessés de l’armée d’Italie. Le recteur, monsieur Nugot fait partie du comité de parrainage. Cela n’est pas étonnant car en ce temps de concordat les relations sont étroites entre l’Église, les autorités de l’État et les collectivités locales. De plus, l’Empire est considéré comme un soutien de la religion.


Sa gestion a été celle d’un notable issu du suffrage censitaire*, soucieux du bon emploi des deniers publics mais sachant prendre en considération les problèmes générés par la grande mutation connue par Loctudy, « village agricole qui petit à petit a pris la mer ».



NOTES*Le suffrage censitaire est le mode de suffrage dans lequel seuls les citoyens dont le total des impôts directs dépasse un seuil, appelé cens, sont électeurs. Parfois, le cens pour être éligible est fixé à un seuil plus élevé.


Emmanuel-Joseph Sieyès considérait que le vote est une fonction et que par conséquent seuls les individus ayant les capacités (intelligence, niveau économique) d'exercer cette fonction doivent y participer. Selon cette théorie, seuls « les actionnaires de la grande société » seraient suffisamment légitimes pour exercer l'activité de vote. Sieyès distingue les « citoyens actifs », ceux qui paient suffisamment d’impôts directs et qui sont capables de voter, des citoyens passifs, dont la richesse ne justifie pas une imposition, et incapables de voter. Sieyès justifie cette position en constatant que seuls les citoyens riches contribuent à la bonne marche de l'économie nationale et qu'il est par conséquent juste qu'ils influent sur la vie politique par le truchement du vote. Ceci explique le suffrage censitaire dans la constitution de 1791, dont Sieyès a contribué à la rédaction.


Ce mode de suffrage est à mettre en perspective avec la théorie de la souveraineté nationale. La souveraineté appartient à la nation, le droit de vote n'est donc pas un droit pour les citoyens mais une fonction, à l'instar du droit qui découle de la théorie de la souveraineté populaire.


En France, les élus du Tiers état aux États généraux de 1789, qui se transformèrent ultérieurement en Assemblée constituante, étaient élus par des chefs de foyer âgés de plus de 25 ans et payant l'impôt, la Constitution de 1791 maintient ce suffrage censitaire (à deux degrés, suffrage indirect donc). La Constitution de l'an I, jamais appliquée, est la première qui prévoit un droit de vote non-censitaire. Les membres du Conseil des Cinq-Cents, assemblée nationale instituée par la Constitution de l'an III, étaient élus au suffrage censitaire, âgés de plus de 30 ans et résidant depuis au moins dix ans sur le territoire national. La Restauration et la Monarchie de Juillet maintiennent ce système de vote censitaire entre 1815 et 1848 : de 1814 à 1830, le cens est fixé à 300 francs pour être électeur, et à 1 000 F pour être éligible. Le 19 avril 1831, il est abaissé à 200 F pour être électeur et 500 F pour être éligible : il y a 246 000 électeurs en 1847. En 1848, le suffrage censitaire est remplacé par le suffrage universel masculin limité avec la Deuxième République.


Entre 1833 et 1848, les conseils généraux sont également élus au suffrage censitaire.