Louis Toulemont [1869 – 1874] et [1876 – 1911]


Par l’exceptionnelle longévité de son mandat, par l’importance de son bilan municipal, Louis Toulemont (1828 – 1911), tient une place prépondérante dans la vie de notre commune. Élu conseiller municipal en 1855 il a occupé les fonctions de maire de 1869 à 1874 et de 1876 à 1911. Il fut en 1878 le premier magistrat de notre cité élu par les conseillers. Auparavant et ce fut son cas, les maires étaient nommés par le préfet. De plus c’est à l’unanimité qu’à chaque fois il a été choisi par ses pairs. Comme il a habité à Kerguiffinan, lieu connu aujourd’hui sous le nom de Villoury, le chemin qui y mène était appelé « Pen allé ar maër » (le bout de l’allée du maire). Cette qualification était d’autant plus justifiée que durant le XIXème siècle cinq maires ont résidé dans le manoir aujourd’hui détruit.


Il a présidé aux destinées de Loctudy à une période de grande mutation aussi bien politique qu’économique. C’est à cette époque que Loctudy a pris la mer et est entré dans la modernité. Sa physionomie a été bouleversée par le développement du port de commerce et de pêche, par l’apparition du tourisme, par l’essor de l’agriculture familiale basée sur la polyculture et sur la culture de la pomme de terre. Face à ces changements, la municipalité s’est attachée à réaliser les investissements nécessaires.


LE CONTEXTE NATIONAL

Louis Toulemont a exercé ses mandats dans la période durant laquelle la IIIe République s’est installée et s’est confortée en France. Majoritaires depuis 1877, les « Républicains » qui s’opposaient aux Bonapartistes, aux Royalistes et aux « Partisans de l’ordre », ont pris et conservé le pouvoir jusqu’en 1914. Dominés par les radicaux, ils ont mené une politique visant à laïciser les institutions. Parmi les réalisations majeures, citons : la loi Jules Ferry (1876) instituant l’école primaire, laïque et obligatoire et la loi de 1905 portant séparation des Églises et de l’État. S’agissant d’un régime fortement centralisé, les incidences locales de cette politique ont été importantes. Dans ce cadre, le maire et son conseil municipal qui appartenaient à la tendance libérale et conservatrice se sont toujours situés dans l’opposition.


Il n’est donc pas étonnant que plusieurs incidents aient éclaté traduisant cette différence de point de vue. En premier lieu à l’occasion des mutations infligées en 1877 et en 1902 à M. Le Tanter (directeur de l’école, secrétaire de mairie et organiste de l’église) qui était soupçonné de tiédeurs vis à vis du gouvernement. Le maire fut d’ailleurs révoqué en 1877 pour avoir protesté contre la mutation d’un enseignant « qui jouissait de l’estime générale et de la confiance des familles ». Un autre point de friction fut la suspension du traitement attribué en exécution du concordat de 1802, à monsieur le Pors recteur qui avait continué, malgré l’interdiction faite par le gouvernement de prêcher en Breton, langue parlée et comprise par la majorité de la population locale. Le principal litige fut constitué par les opérations d’inventaire de l’église en 1905 qui ne se firent qu’après ouverture forcée de la porte. A l’époque la hiérarchie catholique s’était opposée à la loi de séparation, législation qui à l’usage s’est révélée positive pour la liberté des cultes et pour la paix publique. Dans un souci d’apaisement dès 1907, le maire en tant que représentant de la commune désormais propriétaire de l’église, concluait avec le recteur, une convention attribuant à ce dernier, ainsi qu’à ses successeurs, la jouissance gratuite des lieux. La construction de l’école publique des filles ne se fit pas sans problèmes, le conseil municipal arguant en 1905 des difficultés financières et de la présence à Loctudy de deux écoles de ce type, celle du Bon Ange tenue par les sœurs de Kermaria sécularisées depuis deux ans et dotée du statut communal et le groupe scolaire mixte de Saint Quido construit en 1898.


Les élections législatives donnaient lieu à de rudes compétitions entre les « rouges » du bloc des gauches et les « blancs » de l’action libérale. C’est ainsi qu’en 1906, à l’issue d’une campagne électorale agitée, M. Le Bail, notable radical de Plozevet fut élu député de la circonscription par 150 voix de majorité face à M. de Servigny, soutenu par la municipalité de Loctudy.


LE CONTEXTE LOCAL

La population locale est passé de 2040 en 1876 à 2903 en 1911 malgré une certaine émigration et la dureté des temps. Ce qu’on a appelé la « Belle Époque » ne fut pas facile à vivre pour de nombreux habitants de Loctudy, notamment les goémoniers, les « femmes dockers » et les journaliers agricoles.


Pilier de l’activité économique, le port de commerce s’est développé et a connu une intense activité. La rue de la Cale (le nom de Poulavillec s’estompe) s’est peuplée de cafés, d’hôtels et de magasins. Les cartes postales reproduisent bien l’animation qui y régnait quand des files de charrettes de pommes de terre descendaient vers les quais.


Des châteaux, résidences secondaires de gens fortunés, ont fait leur apparition dans notre estuaire qui a été le berceau du tourisme dans la région. Marie de Kerstrat fut un précurseur en édifiant des villas à Pen ar Veur. Des régates mettant en compétition aussi bien les bateaux de plaisance que les misainiers étaient organisées par la société de régates de Loctudy – Ile Tudy dès 1887 et drainaient une foule considérable.


De nombreux peintres (Maurice Denis, Maxime Maufra, Tito Salas) séjournèrent à Loctudy et contribuèrent à sa notoriété. Dans ses ouvrages, notamment « Loctudy » et « Loctudy à la Belle Epoque », Serge Duigou a su traduire l’ambiance de cette période animée.


Dans le domaine des activités, l’agriculture familiale forte de 100 fermes, dopée par la culture de la pomme de terre procure des revenus corrects aux exploitants. La pêche se développe à l’abri du quai construit pour le port de commerce : les bateaux alors immatriculés à Quimper transportent en période creuse du goémon récolté aux îles Glénan. En 1904, la crise de la sardine crée des situations de misère dans les familles. Au début du siècle s’ouvrent l’usine de conserve de M. Vallière à la Cale et l’usine à soude de M. Roussel à Kergoff. L’interdiction de brûler du goémon ayant été levée, de nombreux fours sont construits sur les dunes.


La vie politique se déroule de manière tendue. Si dans les années 1900 le conseil général du Finistère et la majorité des communes bigoudènes sont tenues par le bloc des gauches, la municipalité de Loctudy se situe nettement à droite. Ainsi aux élections municipales de 1904, la liste « républicaine libérale » menée par Louis Toulemont l’emporte avec une moyenne de 350 voix face à la liste « républicaine ministérielle » (230 voix) menée par Pierre Biger, conseiller d’arrondissement et qui deviendra maire en 1924. Dans ce conseil émerge un homme très actif, le comte de Carfort, chef cantonal de la droite, président de la société des Régates et du syndicat cantonal des agriculteurs. A ce titre il déposa un projet, approuvé par le conseil municipal, de création d’un marché de pommes de terre dans le but de réduire l’emprise des négociants et des courtiers. Il s’opposait fortement aux « baillistes », ce qui ne facilitait pas les relations de la commune avec le conseil général notamment lors de la fixation du tracé du chemin de fer bigouden.


L’HOMME

Né au Douric en Pont l’Abbé, habitant dans sa jeunesse à Brenanvec, Louis Toulemont appartenait à une famille qui a fourni plusieurs élus locaux. Son aïeul Pierre Toulemont, de Kerversit (aujourd’hui en Plobannalec) fut délégué de la paroisse de Loctudy à la rédaction des cahiers de doléances en 1789. Son grand-père Pierre fut maire de Plobannalec. Son père fut maire de Plonéour-Lanvern. Son cousin Laurent, de Kerogan fut conseiller municipal de 1869 à 1911.


Si l’on se réfère à la tradition familiale, il a fait ses études au Likès à Quimper, institution créée en 1838 dans le but de donner une instruction générale et professionnelle aux fils d’agriculteurs-propriétaires. Il possédait de solides connaissances à une époque où beaucoup d’hommes étaient illettrés. Selon sa notice nécrologique publiée le 11 février 1911 par le Courrier du Finistère. « Nulle branche d’instruction ne lui était inconnue. Agriculteur conformé, il a fait faire de notables progrès dans la commune : il a siégé dans les comices agricoles où ses avis compétents étaient particulièrement remarqués et goûtés », y lit-on.


Ses convictions politiques et religieuses le plaçaient nettement à droite de l’échiquier. Il soutint l’empereur Napoléon III jusqu’à son abdication en 1870. Par la suite, s’il se rallia à la République, ce fut en tant qu’opposant ; cela l’amena a plusieurs reprises à contester les décisions du préfet.


SON ACTION MUNICIPALE

L’axe majeur de cette action a été de doter Loctudy d’infrastructures publiques rendues nécessaires par la grande mutation en cours.


Les écoles

L’école des garçons est édifiée en 1880 pour remplacer l’ancien établissement devenu insuffisant et insalubre. Sise à l’emplacement de l’actuelle place de la Liberté au bourg, elle était dotée de 2 classes et d’une pièce unique pour la mairie ; elle a été démolie en 1970. Les élèves étaient à l’ouverture 185. En raison de l’augmentation du nombre des habitants du hameau de Saint Quido et de son éloignement du bourg, un groupe scolaire est édifié au lieu dit Park Nedelec en 1898. L’école publique des filles du bourg verra le jour en 1909 au lieu occupé aujourd’hui par le Foyer de l’amitié et la Maison des associations.


La municipalité portait une attention particulière au fonctionnement de ses établissements scolaires ; qu’hommage soit rendu aux premiers éducateurs dont M. le Tanter et M. Cogant directeurs de l’école du bourg, de M. Thomas directeur de l’école de Larvor à sa création, de sœur Saint Léonard directrice de l’école du Bon Ange et de madame Bertray directrice de l’école publique des filles qui alors se dévouèrent à l’enseignement des enfants de Loctudy. Des cours d’adultes appelés « Skol-noz » furent également institués et subventionnés.


Le port et le littoral

A de multiples reprises la municipalité participa financièrement aux agrandissements du port effectués en 1876, 1885 et 1911. Elle demanda qu’à l’abri du quai desservant le commerce maritime un port de refuge soit attribué aux marins pêcheurs dont le nombre s’accroissait. Ceux-ci furent autorisés à y déposer le goémon, activité qui constituait leur principale ressource en hiver.


La récolte du goémon épave fit l’objet de multiples arrêtés : autorisation d’un seul croc par personne, interdiction de la pratique dite « Babata » qui consistait à laisser la récolte sur la grève, obligation faite de la transporter à la laisse de haute mer appelé « Gournal » dans les textes. Les opérations étaient surveillées par le garde champêtre, des gardes goémoniers, des conseillers municipaux et des douaniers dont le bureau fut construit sur le port au début du siècle.


En 1907, le conseil municipal émit un avis défavorable à la demande de concession de 700 m2 du domaine maritime à M. Manson (propriété sise aujourd’hui rue de la Palue) et protesta « contre la tendance de l’administration à accorder trop facilement à des riches propriétaires ce domaine public qui devrait être celui du pauvre au moins en hiver ».


Le bureau de poste

Il fut inauguré en 1898. Cette création fut longtemps sollicitée pour répondre aux besoins des habitants, des négociants, de pommes de terre et des « étrangers » baigneurs et touristes.


L’église

Classée monument historique et merveille de l’art roman, l’église fit l’objet d’une rénovation en 1883, avec l’aide du conseil de fabrique et grâce aux subventions du ministère des Cultes et du ministère des Beaux – Arts.


Les communications

Les routes de Pont l’Abbé et de Saint Guénolé dont le classement en voie de grande communication était demandé reçurent une attention particulière.


Afin de désenclaver la commune et de faciliter l’accès à son port, un vœu est voté en 1904, pour demander que Loctudy soit desservie par la ligne de chemin de fer Pont l’Abbé – St Guénolé qui sera ouverte en 1907. Ce souhait n’ayant pas été exaucé, une nouvelle demande est faite pour que la ligne Audierne – Pont l’Abbé soit prolongée jusqu’à la Cale. Si elle fut retenue en 1913, elle n’eut pas de suite ; en raison de la guerre et du petit écartement de la voie, le chemin de fer régional fut alors supplanté par la circulation automobile.


Loctudy eut toutefois des lignes d’autobus dès 1909 : cette histoire été dans notre n°24. Il faut aussi citer le passeur (à voile puis à moteur) qui reliait les deux rives de la baie. A certaines occasions un vapeur « Le Pétrel » desservait notre port à partir de Quimper.


De nombreux arrêtés municipaux réglèrent la circulation, notamment « celle des charrettes de pommes de terre qui devaient rouler sur une file et des automobiles qui ne devaient pas dépasser 10 km à l’heure dans l’agglomération et s’arrêter quand les chevaux avaient peur ». C’était en effet un problème crucial car en 1885 le conseil municipal de Plobannalec demandait au préfet d’envoyer des gendarmes pour que les charrettes soient alignées au fur et à mesure de leur arrivée.


L’urbanisme

Il ne fut pas négligé : la commune obtint la concession de la pointe sud de l’anse de Porz-Bihan (bas du cimetière) et donna un avis favorable à la concession au comte de Carfort de la partie nord de cette anse « qui constituait un véritable cloaque ». Ce lieu transformé alors en prairie par l’édification d’une digue est devenu la place des anciens combattants.


La sécurité des personnes et des biens fut confortée par la création en 1908, d’un service de lutte contre l’incendie, doté à l’origine d’une pompe à bras.


Un arrêté de 1881 interdit le dépôt des ordures sur la voie publique et « le nettoyage des poissons auprès de la fontaine publique ».


Les finances

Sous l’impulsion de Louis Toulemont, les finances de la commune ont été gérées de manière rigoureuse en bon père de famille ; visiblement il a horreur du moindre déficit. Il s démena pour trouver les recettes de façon à faire face aux dépenses générées par les nombreux investissements :

vote de centimes extraordinaires, création d’une taxe de stationnement sur le port, augmentation des droits d’octroi notamment sur les alcools, recherches de subventions auprès de l’État comme du Conseil général et prise d’emprunts âprement discutés. A de multiples occasions il fit mention des sacrifices consentis par la commune pour financer les lourds investissements (port, école, chemin, poste, église). Le budget annuel était de l’ordre de 10 000 Francs.


Des subventions ont été alloués à la société des Régates de l’Île Tudy – Loctudy pour organiser des compétitions, aux comices agricoles pour promouvoir la modernisation de l’agriculture et à la Mutuelle du bétail. En 1889, lors d’une crise de la pomme de terre, le conseil municipal demanda que soit autorisé la culture du tabac. Ainsi fut concrétisé l’attention portée au tourisme et à l’agriculture.


Un bureau de bienfaisance fut créé pour aider les indigents nombreux dans la commune, à cette période de la crise sardinière et du bas prix des pommes de terre. Il distribuait les secours imputés sur la donation de 10 000 francs faite par Constant le Normant (conseiller municipal) au indigents, aux écoliers pauvres et intelligents et aux vieillards infirmes. Pour son dévouement auprès des malades démunis il fut appelé le médecin des pauvres.


Indiscutablement, Louis Toulemont a marqué son époque. Dans sa gestion il fut épaulé par ses adjoints Jean Le Corre, Louis Guichaoua, Louis Sébastien Guiziou et surtout Guillaume le Floc’h qui assura son intérim de 1909 à 1911.


Véritable notable paysan, c’était un homme de caractère, attaché a ses convictions mais également soucieux d’adapter la commune à la vie moderne. Les termes de l’article cité plus haut méritent d’être reproduits en guise d’hommage. « Il avait rendu à la commune les plus grands services ». Les routes s’étaient améliorées, le port avait été fait et son intervention pour la restauration de l’église si belle a été couronnée de succès. Il est vrai qu’il avait une prudence et une bonhomie qui lui conciliaient vite les esprits et lui attiraient de solides sympathies dont il savait tiré partie en faveur de ses administrés. Aussi son souvenir restera longtemps vivant et honoré. C’est donc à juste titre que le gouvernement l’avait nommé « Chevalier du mérite agricole ».