Toponymie nautique : De Landudec à la plage des « Sables Blancs », en Loctudy
Troisième partie : Les îles
A – L’île aux rats
Une appellation curieuse ou, si l’on veut, une traduction qui n’en est pas une. Dans les faits, par lui-même, l’îlot n’a jamais eu beaucoup d’importance.
Sur une carte de 1780, de la Bibliothèque Nationale, les ingénieurs géographes de Louis XVI lui attribuent le nom de « l’île Ronde », sans plus.
Le tout premier cadastre (1833), la trouvant insignifiante l’inscrit sous l’appellation de « la Petite Ile », ce qui nous paraît plus précis, car désignant « un îlot ». Une « île ronde », seulement justifiée par sa forme peut tout aussi bien vouloir représenter un vulgaire amas de roches ou même, pourquoi pas, une « île continent » (type Australie) !...
Pour en revenir à la dénomination actuelle, rappelons d’abord que le mot raz possède plusieurs significations dont deux nous concernent plus particulièrement :
- raz, qui se traduit par « fort courant de détroit (Beg ar raz / Pointe du raz).
- raz, pour désigner la chaux hydraulique naturelle.
Nota : Certains pensent pouvoir écrire « l’île au ras » (de l’eau), le terme français étant parfois utilisé, mais comme toutes les îles sont, par définition, entourées d’eau ! ? Cette définition n’aurait d’autre sens, si l’on veut, qu’au moment des plus hautes mers, recouverte par l’eau à ce moment (voir anecdote : une île « au ras »)..
Dans cette brève tentative d’analyse nous ne retiendrons pas l’appellation des cartes actuelles dont on connaît leur relative fiabilité et privilègerons la piste de la chaux. Effectivement, la chaux hydraulique, nécessaire aux travaux du chemin de halage qui furent exécutés jusque dans l’année 1854 se présentait sous la forme d’un liant à durcissement plus ou moins rapide sous l’eau. Originaire du Maine-et-Loire son transport se faisait possiblement par bornage ou même cabotage avant qu’elle ne soit entreposée sur la dite « Ile au Rats », toute proche du chantier. Le même dépôt aurait pu également voir transiter la production de la petite fabrique de cette même chaux située dans l’anse de Pen-ar-Veur (près de la mer avec un petit embarcadère).
Ce ne sont là, parfois, que des hypothèses, mais à ne pas chercher ou pérorer dans le vide, on ne risque pas de trouver quoi que ce soit ...
Et les rats là-dedans, me direz vous, que deviennent-ils ? Pas grand chose apparemment, si ce n’est qu’il est toujours tentant ou est-ce une superstition, de baptiser une île ou une roche par un nom d’animal lequel, dans notre cas, ne semble pas y avoir élu campagne, ni même assuré sa descendance.
Juste un dernier mot : Inconnu de Brasparts à Penmarc’h, le mot rat s’y dit « raeden » singulatif formé par le pluriel de « raed (rahed, razed) » P. Trepos.
Anecdote : Pour la petite histoire, il existe également une autre « île aux rats », un îlot pratiquement immergé un peu en aval de l’entrée de Quimper en face du château de Lanniron. Le professeur Giot pensait à une base norroise (aux alentours du 11ème siècle) remarquablement installée dans un site d’accès quasi impossible comme ces pirates venus du Nord les affectionnaient. Leurs barques, ne pouvant aller plus loin, car surchargées au retour, leur permettaient de mieux boucler et investir Quimper. Actuellement envasée et recouvert de schorre, cette île n’avait peut-être même pas de nom ...
B – L’île Queffen
Dénommée « île Queven » sur la carte de 1780 par la même commission d’ingénieurs géographes qui vint sur place et dressa une minute (original de carte) peu académique mais suffisamment bien relevée en fonction des instruments dont ils disposaient ; les plans ou croquis établiront la carte définitive, incluant bien entendu le site d’en face, avec ses vieilles fermes.Quelques décennies plus loin, en 1818, Beautemps-Beaupré, peu inspiré par la langue du pays, laissera écrire par l’un de ses adjoints « Esqueven », sans état d’âme...
Par ailleurs, Queven, localité proche de Lorient, existe depuis le 15 ème siècle (1466) et s’écrivait alors Quezven.
Les deux mots Queven et Queffen sont une seule et même chose mais ne comptent plus les changements d’écriture qui leur furent infligés depuis le 15 ème siècle, imputables à des copistes toujours aussi distraits, pour ne pas dire plus !
Pour une meilleure compréhension, nous allons rapprocher Queven (ffen) de Quemeur (« que + meur »), en Loctudy : le début « Que » (en breton moderne « Kae ») viendrait du vieux breton « Kae » (en gallois Cae) et se traduit par clôture, enclos (en terre ?), haie « Meur » (en gallois Mawr) garde son sens de grand (étendu).
En vieux breton, Quemeur pouvait désigner un ancien retranchement ou une haie défensive, et pourquoi pas une palissade ?
De la même manière, Queven (ffen) pouvait disposer, par exemple, d’alignements de plantes, à effet dissuasif du type : buissons de « Spern gwenn » (aubépine blanche), renforcé par des pieux, etc. ... Ne pas oublier que nous sommes dans une zone de passage : la rivière ...
Rappelons aussi que Kewen, en vannetais (cf. Ernault) désigne le bâton ? Gardons en mèmoire le mot Gwenn, qui parfois s’écrit Ven ou ffen et signifie : blanc, sacré, béni, ...
Une dernière question : cette clôture était-elle là pour mieux sécuriser l’île ou se trouvait-elle sur la partie continentale du lieu-dit, bien plus étendue ? ... (avec ses deux fermes)...
C – L’île Garo
Lorsque en 1818, Beautemps-Beaupré, appelé le « pape de l’hydrographie » effectua les premiers sondages de façon systématique, il ne prendra en compte que les profondeurs pouvant servir à la navigation. Les mesures seront nombreuses dans la passe entre Loctudy et son vis-à-vis l’Ile Tudy puis remonteront, de plus en plus simplifiées, le chenal principal menant vers Pont-l’Abbé pour finalement s’arrêter entre l’île dite « aux rats » et le versant boisé de « penancoet » (île Chevalier).
Mal conseillé il traduira « l’île Garo » par « l’île aux Cerfs », erreur souvent répétée. Plusieurs auteurs l’ont déjà signalée (l’erreur) mais n’ont jamais été entendus ni même probablement lus ; en voici quelques uns :
- 1 – A.E. Troude –1876 – Garo : âpre, rude, rigoureux, féroce, grossier, ...
- 2 – G. Malgorn – 1932 – Edite un atlas en breton, très détaillé, de l’île d’Ouessant. On y trouve une roche appelée à l’époque « Maen Garo », en plein atlantique et à l’extrême ouest de la pointe de Loc-Gweltas. Selon notre ouessantin dont le petit livre avec sa grande carte servit de guide et fait toujours référence : « Maen, Men (se dit parfois de rochers). Pour Garo : rude, âpre, raboteux.
Ce mot composé devient parfaitement limpide... Cette roche supportait (à l’époque) le phare probablement le plus à l’ouest de toute la France.
- 3 – F. Favereau – 1982 – Garw / Garv / Garo : « âpre, rude, rugueux (par extension violent) » mais aussi, en ce qui nous concerne, « affleurement rocheux ».
- 4 – A. Deshays – date récente – Cet auteur maintient l’écriture Garw (rude, sévère).
Généralités : Et si l’on parlait un peu du cerf : son nom breton Karw le met hors cause ; il s’en faut d’une malheureuse consonne (K).
Par ailleurs l’île loctudyste n’est pas la seule en Bretagne à porter ce nom : face à Landeda et faisant partie de l’archipel de Tariec existe une autre île Garo de quelques hectares jadis cultivés. Cadastrée en 1841 mais peu connue, cette île, au départ semblable à son homonyme ne pouvait, compte-tenu de conditions climatiques difficiles voir évoluer sa végétation dans le même sens que celle, plus sudiste, de l’île mieux protégée de Loctudy.
Pour mémoire et reprenant la relève de Beautemps-Beaupré l’une des « Sept îles » porterait le nom français de l’île aux cerfs ? Voulu ou non, sa désignation interpelle mieux le visiteur que par exemple « île Rocheuse ».
Me parlant d’animaux, un ancien m’affirma, il y a de cela longtemps, que jadis, alors que l’île Garo n’était encore qu’une vieille lande rocheuse à peine boisée, des chevaux y paissaient en toute liberté à certaines époques de l’année.
Au sortir de la Terreur, le Commissaire de la République J. Cambry note dans son ouvrage « Etat du Finistèreen 1794 et 1795 » : « Parmi les principaux travaux à exécuter, [faire sauter la pointe de l’île Garo qui gêne la navigation] ». Rapport sans suite et peut-être est-ce mieux ainsi ...
On peut retenir que notre île, déjà connue en 1694 (17 ème ) s’écrivait alors « Isle Garo ».
Quant au passé lointain de l’île et aussi celui de ses voisines, nous savons tout au plus que ces émergences ou « points hauts » de l’ancien paysage étaient alors rattachées à la péninsule lors du paléolithique, aux alentours de 20 000 ans B.P. (Before Present : avant l’actuel, fixé par convention à l’année 1950).
Le niveau général de la mer était alors bien plus bas (– 80 à – 100 m). Puis une remontée, propre à tous les cycles, s’amorcera, mais jusqu’où ?
D – la guerre sous-marine en Atlantique (1917 – 1918)
Le 12 septembre 1914, le sous-marin allemand U-9, commandé par le L.V. Weddigen, coula trois croiseurs-cuirassés anglais puis un quatrième le 15 octobre. L’état-major allemand se rendit alors compte de la redoutable efficacité de ce type de navire et fit augmenter les cadences de production jusqu’à pouvoir fabriquer, en 1917, deux submersibles par semaine !
Les alliés réagiront avec retard et mettront en place des Centres d’Aviation Maritime (C.A.M.) bouclant le littoral atlantique par l’utilisation de secteurs alloués, hélas trop vastes compte tenu du rayon d’action limité de ce type d’aéronefs.
A Lorient, le C.C. Vaschalde, commandant les patrouilles de la Loire, avait la charge de la zone allant de Penmarc’h où veillait l’escadrille 491 basée à Plomeur, jusqu’à Noirmoutier. Le C.A.M. de Lorient disposait dans notre région du Poste de Combat de l’Ile-Tudy dont la mission prioritaire était d’organiser les patrouilles aériennes.
Choix d’un site militaire (ou pourquoi l’Ile-Tudy ?)
Ci-dessous, quelques extraits de la lettre en date du 18 juin 1917 du C.A.M. de Lorient au L.V. commandant les patrouilles de la Loire :
« ... conformément à vos instructions, j’ai reconnu la côte de Penmarc’h à Benodet pour y rechercher l’emplacement convenable pour l’installation d’un Poste de combat pouvant à l’avenir se développer et devenir un Centre Principal.
Sur cette côte les seuls points offrant un abri d’eaux calmes sont : Guilvinec, Lesconil, Loctudy et l’Ile-Tudy, Benodet. Les deux premiers ports assèchent presque complètement à mer basse et leur abri est très relatif par brise d’ouest et de sud-ouest. Il ne s’y présente pas de terrain convenable pour l’édification des hangars.
Benodet n’offre qu’une rivière sinueuse assez étroite à mer basse, entre de hautes rives boisées. Les arrivées et les départs y seraient donc pénibles en cas de mer houleuse à l’extérieur ; il serait en outre très difficile de trouver sur les berges l’emplacement des hangars.
Au contraire le pool formé par la rivière de Pont-l’Abbé devant Loc-tudy et l’Ile-Tudy, les îles Chevalier et Garo offre en toutes circonstances un bassin d’eau calme assez étendu pour permettre l’envolée et l’amerrissage des avions.
Pour ce qui est de l’emplacement des hangars il faut écarter Loc-Tudy, terre-plein trop exigu, quais à peine suffisants pour les vapeurs qui viennent y charger en été et asséchant aux grandes basses mers, l’île Garo, qui ne présente pas de terrain favorable, l’île Chevalier dont les abords sont envasés et l’accès difficiles.
Il reste l’Ile-Tudy. La cale du petit port est inutilisable parce que aboutissant à une place trop exigue, enclose entre les maisons. Mais à la sortie du village, à l’est , la langue de terre qui forme presqu’île, entre la mer et le pool, présente un large terrain de palud qui permettrait la construction de plusieurs hangars. Devant ce terrain une grève de sable en pente douce s’étend, sans vase, jusqu’au niveau des plus basses mers (c’est du moins ce que m’ont affirmé le maire et le syndic, car nous étions en période de mortes eaux) ; ces personnes m’ont d’ailleurs promis de jalonner les parties uniquement sablonneuses. Ces terrains seraient utilisables pour la création d’un poste de combat ou même d’un Centre Principal ; il suffirait de quelques légers nivellements de terrain et de l’installation sur le sable d’un plancher de la largeur d’un chariot permettant de rouler les appareils jusqu’à l’eau ... Le logement des hommes exigerait l’établissement de baraquements à moins que l’on puisse disposer des bâtiments de l’usine Beziers, inactive, au dire du maire, depuis six ans ...
C’est donc ce terrain qui me paraît devoir être choisi de préférence à tous les autres points de la côte dePenmarc’h à Benodet ... »
Note du rédacteur : Ce projet reçut l’aval des autorités mais fût par la suite bien modifié.
Postes de combat et hydravions Le poste de combat de l’Ile-Tudy fut créé le 26 septembre 1917 et confié à l’E.V. Plurien. Ce même jour le poste sera armé par une section de quatre Donnet-Denhaut D.D. et disposera de cinq hangars Bessonneau, un hangar fixe en bois et un Slipway.
Les caractéristiques de ces premiers D.D. sont loin d’en faire un épouvantail volant : masse de 910 à 1 410 Kg, envergure 14,2 m, longueur 10,3 m, moteur de 200 CV, vitesse 133 Km/h, temps de montée à 2 000 m : 20 mn, autonomie 4 h 30 min., armement une mitrailleuse et 4 bombes de 52 Kg, équipage réduit à deux ou trois hommes plus, si l’on peut dire, le pigeon utilisé en cas d’amerrissage forcé ou d’incident, certains de ces appareils ne disposant pas de T.S.F.
Lorsqu’ils n’étaient pas en opérations, les D.D., bien à l’abri de l’île Garo, (côté est) se trouvaient amarrés sur de grosses bouées que certains d’entre vous ont connu.
Renforts américains Armé par les américains le 20 octobre 1917, l’espace centre ville est officiellement cédé à l’U.S. Navy le 25 avril 1918. Le Centre maritime, doté initialement de 8 puis de 12 D.D. verra ceux-ci remplacés par 19 HS 1 « Curtiss », plus performants, à partir de septembre 1918.
Selon un document de l’U.S. Navy il n’y avait qu’un hangar français (celui en bois ?) quand leurs troupes occupèrent la station et si leur commandant (first officer) arrive le 30 novembre 1917, le premier contingent de troupes américaines se présentera le 9 décembre 1917.
Le nombre de vols opérationnels atteignait le chiffre remarquable de 1238 pour une durée totale très précise de 2 043 h 29 mn ! Distances parcourues : 104 877 miles.
Le 11 novembre 1918 la station comptait 2 D.D. (selon l’U.S. Navy)et 19 HS 1 « Curtiss ». Quand aux effectifs il comportait bien 22 officiers et 363 marins (version française : 213). Le temps pressait et il peut paraître normal qu’il y ait eu des confusions dans les chiffres compte tenu de la mobilité des effectifs et des déplacements ou affectations imprévus des aéronefs.
Militaires et civils Les relations avec les habitants étaient plutôt bonnes et les américains prenaient régulièrement le passeur pour ramasser leur courrier, à la cale de Loctudy, commune où ils se ravitaillaient également (viande et pain chez M. Boënnec, ...) avant de souvent poursuivre jusqu’à Pont-L’Abbé avec les cars Le Berre ... les marins-pêcheurs récupéraient parfois quelques pilotes, qui tous jeunes et plutôt inexpérimentés, confondaient de temps à autre, lors de leur amerrissage, vasières et plans d’eau, car on peut être bon pilote et parfaitement ignorant des marées.
En conclusion, la base de l’Ile-Tudy fut finalement créditée de la destruction d’un sous-marin et, par ses nombreux bombardements demeura aussi une zone de forte dissuasion pour les meutes de submersibles à l’affût des convois d’Amérique...
Sources :
« Les noms de lieux de Loctudy » par J . Mariel ; Extraits d’un petit ouvrage à paraître.
Le Service Historique de la Défense
Le journal de Lann Bihoué
Documents U.S. Navy
Société Archéologique du Finistère, etc. ...